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01/09/2010

Le poème de la semaine

Paul Eluard


Notre vie tu l'as faite elle est ensevelie

Aurore d'une ville un beau matin de mai

Sur laquelle la terre a refermé son poing

Aurore en moi dix-sept années toujours plus claires

Et la mort entre en moi comme dans un moulin


Notre vie disais-tu si contente de vivre

Et de donner la vie à ce que nous aimions

Mais la mort a rompu l'équilibre du temps

La mort qui vient la mort qui va la mort vécue

La mort visible boit et mange à mes dépens


Morte visible Nusch invisible et plus dure

Que la soif et la faim à mon corps épuisé

Masque de neige sur la terre et sous la terre

Source des larmes dans la nuit masque d'aveugle

Mon passé se dissout je fais place au silence


Quelques traces de craie dans le ciel,

Anthologie poétique francophone du XXe siècle

01:52 Écrit par Claude Amstutz dans Paul Eluard, Quelques traces de craie dans le ciel - Anth | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : littérature; poésie | |  Imprimer |  Facebook | | |

25/08/2010

Le poème de la semaine

Louis Aragon


Ne t’en va pas mon cœur ma vie

Sans toi le ciel perd ses couleurs

Désert des champs jardins sans fleurs

Ne t’en va pas


Ne t‘en va pas où va le vent

Sans toi tous les oiseaux s’envolent

Et toutes les nuits sont des folles

Ne t’en va pas


Ne t’en va pas où se perd l’eau

Méprisant le bonheur des verres

Et l’univers des arbres verts

Ne t’en va pas


Ne t’en va pas comme le sang

Qui saute à la main qui me blesse

Ma chère force et ma faiblesse

Ne t’en va pas


Ne t’en va pas où fuit le feu

Quand la paille à peine défaille

Qu’elle est cendre pour qu’il s’en aille

Ne t’en va pas


Ne t’en va pas dans les nuées

Mon bel aigle ami des orages

Je peux mourir de ton courage

Ne t’en va pas


Ne t’en va pas chez l’ennemi

Qui t’a pris la terre et tes armes

Crois en la mémoire des larmes

Ne t’en va pas


Ne t’en va pas c’est félonie

Ces discours ces chansons ces fêtes

Hommes sachez ce que vous faites

Ne t’en va pas



Ne t’en va pas où l’on te dit

Avec de grands mots pour enseignes

Quand c’est la blessure qui saigne

Ne t’en va pas


Ne t’en va pas chez le tyran

Forger sa puissance toi-même

Et des fers pour ceux que tu aimes

Ne t’en va pas


Ne t’en va pas prends ton fusil

Siffle ton chien chasse les ombres

Chasseur chasseur tu es le nombre

Ne t’en va pas


Prends ton fusil



Quelques traces de craie dans le ciel,

Anthologie poétique francophone du XXe siècle

07:01 Écrit par Claude Amstutz dans Louis Aragon, Quelques traces de craie dans le ciel - Anth | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; poésie | |  Imprimer |  Facebook | | |

18/08/2010

Le poème de la semaine

Stéphane Mallarmé


O rêveuse, pour que je plonge

Au pur délice sans chemin,

Sache, par un subtil mensonge,

Garder mon aile dans ta main.


Une fraîcheur de crépuscule

Te vient à chaque battement

Dont le coup prisonnier recule

L'horizon délicatement.


Vertige! Voici que frissonne

L'espace comme un grand baiser

Qui, fou de naître, pour personne

Ne peut jaillir ni s'apaiser.


Sens-tu le paradis farouche

Ainsi qu'un rire enseveli

Se couler du coin de ta bouche

Au fond de l'unanime pli?


Le sceptre des rivages roses

Stagnants sur l'or des soirs, ce l'est,

Ce blanc vol fermé que tu poses

Comme le feu d'un bracelet.


Quelques traces de craie dans le ciel,

Anthologie poétique francophone du XXe siècle

17:22 Écrit par Claude Amstutz dans Quelques traces de craie dans le ciel - Anth | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; poésie | |  Imprimer |  Facebook | | |

11/08/2010

Le poème de la semaine

Nicolas Bouvier


Quand nous reverrons-nous

maraudeurs de verdures

L'absinthe de la nuit sous vos pas étouffés

minuit a fait flamber sous vos bras les ramures

et le catimini de tous les fruits volés


Quand je vous reverrai

secrets pilleurs de pommes

merises et mirabelles auront quitté mon pré

dans un lieu incertain entre je suis nous sommes

entre la mort et toi l'été aura brûlé


L'automne aura lavé ce vin de pourriture

et tout ce qui en moi avait déjà cédé

ne vous reverrai plus maraudeurs de verdure

ne vous reverrai plus

car vous m'avez trompé


Mais si vous revenez

goûteurs de confitures

revenez s'il vous plaît

pieds nus les yeux baissés

Le gel aura fermé son poing sur la nature

Entre vos voix et moi l'hiver s'est installé

Moi je n'y serai plus et vous serez volés



Quelques traces de craie dans le ciel,

Anthologie poétique francophone du XXe siècle

11:50 Écrit par Claude Amstutz dans Quelques traces de craie dans le ciel - Anth | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; poésie | |  Imprimer |  Facebook | | |

04/08/2010

Le poème de la semaine

René Char


Pourquoi ce chemin plutôt que cet autre

Où mène-t-il pour nous solliciter si fort

Quels arbres et quels amis sont vivants

Derrière l’horizon de ces pierres

Dans le lointain miracle de la chaleur


Nous sommes venus jusqu’ici

Car là où nous étions

Ce n’était plus possible

On nous tourmentait

Et on allait nous asservir


Le monde de nos jours

Est hostile aux transparents


Une fois de plus

Il a fallu partir

Et ce chemin qui ressemblait

A un long squelette

Nous a conduits à un pays

Qui n’avait que son souffle

Pour escalader l’avenir


Comment montrer sans les trahir

Les choses simples dessinées

Entre le crépuscule et le ciel


Par la vertu de la vie obstinée

Dans la boucle du temps artiste

Entre la mort et la beauté



Quelques traces de craie dans le ciel,

Anthologie poétique francophone du XXe siècle

10:03 Écrit par Claude Amstutz dans Quelques traces de craie dans le ciel - Anth, René Char | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; poésie | |  Imprimer |  Facebook | | |

28/07/2010

Le poème de la semaine

Jean Amrouche


À l'homme le plus pauvre

à celui qui va demi-nu sous le soleil dans le vent

la pluie ou la neige

à celui qui depuis sa naissance

n'a jamais eu le ventre plein


On ne peut cependant ôter ni son nom

ni la chanson de sa langue natale

ni ses souvenirs ni ses rêves


On ne peut l'arracher à sa patrie

ni lui arracher sa patrie.


Pauvre affamé nu il est riche malgré tout de son nom

d'une patrie terrestre son domaine

et d'un trésor de fables et d'images que la langue des aïeux

porte en son flux comme un fleuve porte la vie.


Aux Algériens on a tout pris

la patrie avec le nom

le langage avec les divines sentences de sagesse

qui règlent la marche de l'homme

depuis le berceau

jusqu'à la tombe

la terre avec les blés les sources avec les jardins

le pain de bouche et le pain de l'âme

l'honneur la grâce de vivre comme enfant de Dieu

frère des hommes sous le soleil

dans le vent la pluie et la neige.


On a jeté les Algériens hors de toute patrie humaine

on les a fait orphelins

on les a fait prisonniers d'un présent sans mémoire

et sans avenir

les exilant parmi leurs tombes

de la terre des ancêtres de leur histoire de leur langage

et de la liberté.


Ainsi réduits à merci

courbés dans la cendre

sous le gant du maître colonial

il semblait à ce dernier

que son dessein allait s'accomplir.

que l'Algérien en avait oublié son nom son langage

et l'antique souche humaine qui reverdissait

libre sous le soleil dans le vent la pluie et la neige

en lui.


Mais on peut affamer les corps

on peut battre les volontés

mater la fierté la plus dure sur l'enclume du mépris

on ne peut assécher les sources profondes

où l'âme orpheline par mille radicelles invisibles

suce le lait de la liberté.

On avait prononcé les plus hautes paroles de fraternité

on avait fait les plus saintes promesses.


Algériens, disait-on,

à défaut d'une patrie naturelle perdue

voici la patrie la plus belle la France

chevelure de forêts profondes hérissée de cheminées

d'usines lourdes de gloire

de travaux et de villes de sanctuaires

toute dorée de moissons immenses ondulant

au vent de l'Histoire comme la mer

Algériens, disait-on, acceptez le plus royal des dons

ce langage le plus doux le plus limpide

et le plus juste vêtement de l'esprit.


Mais on leur a pris la patrie de leurs pères

on ne les a pas reçus à la table de la France

Longue fut l'épreuve du mensonge et de la promesse

non tenue

d'une espérance inassouvie

longue amère

trempée dans les sueurs de l'attente déçue

dans l'enfer de la parole trahie

dans le sang des révoltes écrasées

comme vendanges d'hommes.


Alors vint une grande saison de l'histoire

portant dans ses flancs une cargaison d'enfants

indomptés

qui parlèrent un nouveau langage

et le tonnerre d'une fureur sacrée :

on ne nous trahira plus

on ne nous mentira plus

on ne nous fera pas prendre des vessies peintes

de bleu de blanc et de rouge

pour les lanternes de la liberté

nous voulons habiter notre nom

vivre ou mourir sur notre terre mère

nous ne voulons pas d'une patrie marâtre

et des riches reliefs de ses festins.


Nous voulons la patrie de nos pères

la langue de nos pères

la mélodie de nos songes et de nos chants

sur nos berceaux et sur nos tombes


Nous ne voulons plus errer en exil

dans le présent sans mémoire et sans avenir


Ici et maintenant

nous voulons

libres à jamais sous le soleil dans le vent

la pluie ou la neige

notre patrie : l'Algérie.

 


Quelques traces de craie dans le ciel,

Anthologie poétique francophone du XXe siècle

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21/07/2010

Le poème de la semaine

Yves Bonnefoy



Heurte.

Heurte à jamais.


Dans le leurre du seuil.


A la porte, scellée,

A la phrase, vide.

Dans le fer, n'éveillant

Que ces mots, le fer.


Dans le langage, noir.


Dans celui qui est là

Immobile, à veiller

A sa table, chargée

De signes, de lueurs. Et qui est appelé


Trois fois, mais ne se lève.


Dans le rassemblement, où a manqué

Le célébrable.


Dans le blé déformé

Et le vin qui sèche.


Dans la main qui retient

Une main absente.


Dans l'inutilité

De se souvenir.


Dans l'écriture, en hâte

Engrangée de nuit


Et dans les mots éteints

Avant même l'aube.


....................................................


Dans la bouche qui veut

D'une autre bouche

Le miel que nul été

Ne peut mûrir.


Dans la note qui, brusque,

S'intensifie

Jusqu'à être, glaciaire,

Presque la passe


Puis l'insistance de

La note tue

Qui désunit sa houle

Nue, sous l'étoile.


Dans un reflet d'étoile

Sur du fer.

Dans l'angoisse des corps

Qui ne se trouvent.


Heurte, tard.


Les lèvres désirant

Même quand le sang coule,


La main heurtant majeure

Encore quand

Le bras n'est plus que cendre

Dispersée...


Quelques traces de craie dans le ciel,

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14/07/2010

Le poème de la semaine

Jean Cocteau


Je n'aime pas dormir quand ta figure habite,

La nuit, contre mon cou ;

Car je pense à la mort laquelle vient trop vite,

Nous endormir beaucoup.


Je mourrai, tu vivras et c'est ce qui m'éveille!

Est-il une autre peur?

Un jour ne plus entendre auprès de mon oreille

Ton haleine et ton coeur.


Quoi, ce timide oiseau replié par le songe

Déserterait son nid !

Son nid d'où notre corps à deux têtes s'allonge

Par quatre pieds fini.


Puisse durer toujours une si grande joie

Qui cesse le matin,

Et dont l'ange chargé de construire ma voie

Allège mon destin.


Léger, je suis léger sous cette tête lourde

Qui semble de mon bloc,

Et reste en mon abri, muette, aveugle, sourde,

Malgré le chant du coq.


Cette tête coupée, allée en d'autres mondes,

Où règne une autre loi,

Plongeant dans le sommeil des racines profondes,

Loin de moi, près de moi.


Ah ! je voudrais, gardant ton profil sur ma gorge,

Par ta bouche qui dort

Entendre de tes seins la délicate forge

Souffler jusqu'à ma mort.

 


Quelques traces de craie dans le ciel,

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07/07/2010

Le poème de la semaine

Paul Valéry


Tes pas, enfants de mon silence,

Saintement, lentement placés,

Vers le lit de ma vigilance

Procèdent muets et glacés.


Personne pure, ombre divine,

Qu'ils sont doux, tes pas retenus !

Dieux !... tous les dons que je devine

Viennent à moi sur ces pieds nus !


Si, de tes lèvres avancées,

Tu prépares pour l'apaiser,

A l'habitant de mes pensées

La nourriture d'un baiser,


Ne hâte pas cet acte tendre,

Douceur d'être et de n'être pas,

Car j'ai vécu de vous attendre,

Et mon coeur n'était que vos pas.

 


Quelques traces de craie dans le ciel,

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30/06/2010

Le poème de la semaine

Paul Fort


Le petit cheval dans le mauvais temps,

qu'il avait donc du courage !

C'était un petit cheval blanc,

tous derrière et lui devant.


Il n'y avait jamais de beau temps

dans ce pauvre paysage.

Il n'y avait jamais de printemps,

ni derrière ni devant.


Mais toujours il était content,

menant les gars du village,

A travers la pluie noire des champs,

tous derrière et lui devant.


Sa voiture allait poursuivant

sa belle petite queue sauvage.

C'est alors qu'il était content,

eux derrière et lui devant.


Mais un jour, dans le mauvais temps,

un jour qu'il était si sage,

Il est mort par un éclair blanc,

tous derrière et lui devant.


Il est mort sans voir le beau temps,

qu'il avait donc du courage !

Il est mort sans voir le printemps

ni derrière ni devant.

 


Quelques traces de craie dans le ciel,

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